12/10/2023 FLOT DE PLEINE LUNE (Inondations du 20 septembre en Libye, 11 000 morts) Il a fait si clair cette nuit-là Le jour à l’envers, nul bruit. L e sanglier, l’effraie, ont déserté la forêt. Survit l’insecte se repaissant de sang. Des humains affamés emportés par les flots, on ne voit plus que les mains qui crient. Beauté du jour à jamais engloutie Qui désormais peuplera mes nuits ?
Le village est coquet mais les maisons sont vides Le temps aussi se vide il avance à tâtons de crête de colline en éperon rocheux il avance en vagues lourdes spasmes de son ventre vide sur les pans rugueux le temps se dévide jusqu’au pied des falaises où le vent plisse le fluide amer
Abattu - non, pas l'avion qui trace droit vers l'ouest Ton oiseau migrateur parti trop tôt ou toi trop tard hasard des techno logies Ailes rognées patte baguée "Tu n'as pas eu le temps" Scrute le vent porte-parfum Il est midi Il s'est posé C'était pour toi Face aux embruns ton oiseau t'a souri - non, ton oiseau en t'offrant sa brassée de mimosa. mp
Essayons d'être plus léger. La lune dans le brouillard... Encore une qui m'avait trompée, très tôt ce matin-là, au départ d'un voyage-mirage : Au matin lune s'éveille et s'ensommeille couvrant de draps de paresse la pâleur de son teint. Lune voilée reposée timide retenue à demi nue par la nuée humide qui reparaît dans l'écran fluide ronde et pleine sereine. Au soir pourtant seul un croissant griffait l'étang... Astre entravé s'étire parchemin se déchire et le soleil éblouissant ouvre un chemin au jour naissant. mp
(juillet 2021, poème oublié dans ma voiture) L'IMMUABLE Elle est monceau de marnes grises qu'étouffe un ciel ingrat. Au soleil, elle ploie sous le poids de ses pans de craie. Au loin dans les vignes les roches arides sont lavées de bleu et le ciel fuit. Je le poursuis sans me retourner jusqu'au prochain été.
Parfois je sors de mon adorable prison pour aller voir la mer. Gigantesques constructions dense circulation hargne, excitation. Comme nuées de moustiques filent les insupportables trottinettes les piétons zigzaguent en milieu de chaussée, mains à hauteur de visage, devant les yeux leur écran de portable. Vrombissements pestilentiels ...et mon regard enfin peut embrasser la mer. Mais les yachts sont à l’ancre trois rangées de containers qui cachent même le ciel. Je plonge dans l’eau claire frôle le sable, fouille les algues. La tiède surface est un tropique le fond glacial un pôle sublime Tout près du bord d’informes créatures se mêlent sournoises, aux poussières des floraisons qui s’agglutinent sombrent et se noient. Comme moi flottant entre deux eaux des salpes
Une route flanquée de maisons de pierres qui s’arrête en bout de village. Doit-on s’engager dans les noires ornières du chemin ? La porte s’ouvre « Bonjour ! Une tasse de café ? N’ayez crainte je peux vous accompagner dans le sentier des prunelliers. Mais si vous préférez ma maison de pierres vous ne couvrirez pas de boue vos souliers. »
VIRTUOSE Le violon s’incline sous les crins ses cheveux se mêlent aux cordes et le chevalet retient ses boucles où le fougueux archet se fraye encore un chemin sa main vient chercher l’aigu sur la touche et de l’archet la mèche dans la lumière libère une volute de poudre comme on libère un génie. Judith Le Monnier, dans un sextuor de Rimsky-Korsakov. mp
CHAT NOIR Le jeune chat noir a le pelage luisant. Il est épié. Ses grands yeux verts se figent sur le soir Puis il reprend sa route en ondulant dans la pénombre Ses longues pattes fines portent haut son corps --barque antique que l’on déplace vers sa crypte à bout de bras lentement de profil Acte sacré Ses coussinets roses effleurent la chaussée Le félin passe. On l’oublie. Au matin reprend la course effrénée des poids-lourds sur l’asphalte croisant ambulances et noyés. mp
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